Demain sonne le glas de notre Via Francigena, le tocsin de notre voyage Toscan. Six jours que z’Homme et moi arpentons ce chemin de pèlerinage entre Lucques et Sienne. Bilan : 154 km de randonnée, 2340 mètres de dénivelé positif et des pieds qui ressemblent à un champ de mines.

 

Tout est parti d’une simple erreur de calcul. J’ai fait un découpage approximatif de 20 km entre chaque étape avec Google Maps. 20 kilomètres, c’est la distance que j’avais parcourue chaque jour au Raid Guatemala, qui ne s’appelait pas comme ça par hasard. Donc je m’imaginais profiter amplement de la légendaire douceur toscane pour m’asseoir en terrasse chaque après-midi et écrire. En tout cas, c’est ce que je pensais béatement en prenant le train à 6h38 du matin à Bâle, mon gipfeli et mon espresso encore fumant à la main.

 

Il m’a suffi de passer de la CFF suisse à Trenitalia pour que mon exaltation retombe. Cinq changements en Italie, ça rend nerveux quand tu connais la ponctualité façon «  dolce vita » de la compagnie ferroviaire italienne. Trenitalia a un timing bien à elle avec un sens particulier des horaires qui nous a fait rater notre correspondance à Milano Centrale. Lucques nous a donc accueilli fraîchement avec deux heures de retard, sous une pluie battante. Z’Homme souriait, ce que je trouvais hautement suspect pour quelqu’un qui aime le soleil, sinon rien. Il m’a tendu son smartphone, triomphant : « Pluie aujourd’hui et demain et ensuite grand beau temps pendant toute la semaine ! ». Ah, c’était donc ça !

 

Notre première journée sur le sol italien a consisté à visiter la ville fortifiée de Lucques. La belle italienne nous a offert notre première séance de cardio : monter les remparts pour voir la vue, puis descendre dans la vieille ville et remonter … du step grandeur nature. Le lendemain nous sommes partis, sac au dos, pour notre première étape jusqu’à Altopascio, moche plaine. On était bien loin de la carte postale. Des quartiers résidentiels sans originalité succédaient à des zones industrielles languissantes, devant tant de laideur la nature s’était fait la malle. Heureusement, l’étape étant courte, l’ennui fut bref. Si j’avais su que ce serait l’étape la plus courte du parcours, j’aurais moins râlé d’ailleurs.

 

Le lendemain, changement de décor : la Via Francigena en direction de Fucecchio ressemblait à l’idée que je me faisais de la Toscane. Avec ses collines tapissées de vignes et d’oliveraies, lignes et damiers interrompus par des bosquets d’arbres et des prairies luxuriantes, le paysage était enfin enchanteur. Et tant mieux parce que la distance en kilomètres avait de quoi me faire déchanter. De 16 km initialement prévus, nous sommes passés à 20 km. Et crois-moi, quatre kilomètres, ça compte quand t’es à pied.

 

La troisième étape de 27 kilomètres jusqu’à Montaione se chargea d’effacer tous mes doutes s’il en subsistait encore : Google Maps s’était payé ma tête. Sous ses airs de je-sais-tout, il ne savait rien de la Via Francigena. Chaque étape comptait au moins 4 à 5 kilomètres de plus. Spoiler : la Toscane, c’est pas Nidorfla-pays-plat. C’est vallonné et mes guibolles ont vite compris qu’elles allaient pas se mettre de sitôt les doigts de pieds en éventail. Au bout d’un moment, même les cyprès m’ont regardé avec compassion. À chaque pente un peu raide, z’Homme martelait le sol de ses bâtons de marche à la cadence d’un métronome réglé sur rapide. Il était clair que l’un de nous deux ne souffrait pas quand l’autre était au bout de sa vie.

 

Cette injustice flagrante se doublant d’une inégalité sudoripare entre z’Homme et moi, j’avais investi massivement dans des vêtements en mérinos. Vu la météo – 25° avec ressenti 27°-, c’était un bon placement. Ma pote Michélium[1] m’avait filé le tuyau ce qui m’a permis de suer sans puer.

De Montaione à Pancole (24 km), le paysage bellissimo m’avait presque fait oublier la distance et les pauses minutées de z’Homme. « Faut tenir les 5 km/h de moyenne » m’a-t-il dit, sérieux comme un entraîneur olympique. J’ignorais qu’il y avait un chrono. Ma relation au temps étant plus nuancée que z’Homme, je lui servis l’adage qui va piano va sano[2] mais j’étais secrètement fière de notre vive allure.

 

C’est l’avant-dernière étape, passant par le Colle di Val d’Elsa (22 km), qui m’a réconciliée avec la rando. Je fatiguais grave après avoir empilé les kilomètres. Mon dos et mes pieds commençaient à se rebeller, quand le Bon Dieu a décidé de nous donner un coup de pouce. Après tout, nous faisions un pèlerinage vers Rome, il était temps qu’Il se manifeste. Au détour du sentier, nous avons atteint la rivière Elsa, gorgée des pluies diluviennes de la semaine précédente. Nous avons longé le torrent, qui formait des chutes et des bassins, des arbres tombés dans l’eau faisaient momentanément barrage à l’eau vive. Nous avons traversé l’Elsa en plusieurs endroits, d’une rive à ‘autre, sur des rochers glissants, en nous tenant à des cordes de fortune. C’était irréel. Nous sommes arrivés à l’hôtel sur un petit nuage.

 

Z’Homme avait préparé la feuille de route pour la sixième et dernière étape vers Sienne : 32 kilomètres , soigneusement rythmés par des pauses calibrées. Nous avons traversé Monteriggioni qui, comme San Miniato et San Gimignano avant elle, était l’une de ces bourgades toscanes charmantes et préservées, nous ouvrant leurs portes sur des ruelles serrées avec le linge qui pend aux balcons. Les remparts qui cernent ces villages, témoins d’un passé hostile, nous servaient surtout à prendre des selfies sur une belle toile de fond. Après 6 heures de marche, la récompense c’était de loger au cœur de la cité historique, de mettre nos pieds enfin au repos et d’envoyer valser nos sacs à dos ! En arrivant à l’entrée de la ville, je me sentais plus fatiguée qu’heureuse. Le bonheur est venu après la douche, avec le verre de Moscato di Sicile servi sur une salade de poulpes.

 

Le lendemain, nous savourions la victoire de nos 154 km arrachés à la Via Francigena et flânions dans Sienne au pas que nous permettaient nos pieds meurtris. Le cœur de la ville, bâti autour de la Piazza del Campo en pente, prend la forme unique d’un coquillage avec, au creux de cette conque, le Palazzo Pubblico et sa Torre del Mangia qui se dresse comme un phare à 88 mètres de haut. Nous étions ébahis de tant de beauté et nous n’avions encore rien vu. Parce que le Duomo, Cathédrale Notre-Dame-de-L’Assumption, nous a coupé le souffle. Façade de marbres blancs, verts et rouges, mosaïques dorées, campanile strié de vert et de blanc : même z’Homme en était tout chose. On a pris un billet pour la visite de la cathédrale parce que Wikipédia disait que l’intérieur valait bien l’extérieur, avec une marquetterie de 3000 m2 de marbres dont la création s’était étalée sur six siècles ! Qui, à part la nature, pouvait se permettre le luxe de créer un projet sur 24 générations ?

 

Sienne s’était montrée à la hauteur de l’effort qu’il nous avait fallu produire pour la découvrir. Déambuler dans ses rues commerçantes nous avait permis de renouer avec le rythme de nos vies qui reprenaient, à la vitesse du train que nous allions reprendre dès demain. Mais Sienne et ses petites sœurs toscanes nous avaient donné envie de revenir, de refaire un bout de la Via Francigena. L’année prochaine, peut-être, au printemps, sans doute.


[1] Michélium a fait le Chemin de Compostelle sans déo. Respect.

[2] Lentement mais sûrement

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