Alors laisse-moi te dire –et même si j’te l’ai trop dit, j’te l’dis quand même : quand z’Homme fait une cure de jus, c’est pas juissif. Déjà, quand je ne mange rien, je flirte avec la dépression majeure pour cause de privation hydrocarbonée. Mais avec z’Homme à mes côtés, qui parle bouffe h24, je t’explique pas le bonheur.
Tout avait très mal commencé puisqu’il avait boudé la descente alimentaire « pour raisons professionnelles ». Traduisez : repas au resto avec des collègues. Tu comprends, m’a-t-il expliqué, je ne peux pas manger une salade quand ils s’enfilent des steaks frites hein ? Ben, non, j’comprends pas. Je mange bien une soupe pendant que nos enfants se goinfrent d’aliments dont-il-ne faut-pas-dire-le-nom.
Le matin du jour J, 1er jour de jeûne donc, il s’était levé aux aurores, suite à une nuit agitée et peuplée de rêves carnés. Pour ne pas défaillir, il s’était fait un petit-déjeuner pantagruélique à base de petits pains et d’œufs brouillés. Sympa pour moi qui en était restée à la bouillie cellulosique de la veille et contemplait d’un œil morose la seule boisson autorisée en ce jour : un jus de pruneaux brunâtre. Contre mauvaise fortune bon cœur, je vais pour trinquer avec lui quand il me déclare qu’il m’accompagnera mais ne suivra pas le jeûne car, je cite « moi je n’ai pas de problèmes ni de kilos à perdre ». Direct, je me suis sentie comprise.
Ambiance un peu tendue pendant le trajet. Arrivé sur place, z’homme effectue une admirable volte-face : il accepte de jouer le jeu du jeûne, non sans avoir subi de douces et amicales pressions de la part de la naturopathe. Je jubile secrètement, surtout quand la naturo en question lui fait avaler de l’huile de ricin. En même temps, je viens moi aussi d’ingurgiter la purge, donc je fais pas trop la fière si tu veux. Quelques chasses d’eau et un léger malaise plus tard, z’Homme rumine de sombres pensées. Peut-être à cause de la côte de bœuf dont il comprend qu’elle n’est pas pour demain la veille ?
Dès le lendemain, 2ème jour de cure de jus, nous attaquons le programme : les longues marches en forêt seraient sympas si z’Homme ne les associait pas aux morilles et à leur sauce, et on pourrait vraiment se détendre s’il ne comparait pas le sauna à une cuisson vapeur et le jacuzzi à un bouillon. Je me raccroche aux itsi bitsi tout petits verres de jus de fruits et de légumes qui, faute de lui remplir la panse, font le vide dans ses pensées, l’empêchant d’émettre les borborygmes qui, traduits en langage humain, signifient « j’ai faim » « j’ai la dalle » et « quand est-ce qu’on mange ».
J’ai l’impression d’être partie avec un ado. C’est pas franchement cool quand t’essaies vaillamment de penser à autre chose qu’aux nourritures terrestres. Je l’enverrais bien se faire cuire un œuf, mais ça va pas être possible tout de suite.
Heureusement, la reprise alimentaire a le bon goût d’arriver vite : z’Homme est soulagé que ce week-end s’achève. Moi aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Se passer de nourriture pendant 3 jours avec un z’Homme des cavernes hostile, c’est assez moyen-moyen.