Par curiosité plus que par religiosité, j’ai voulu savoir à quoi ressemblait une messe de minuit au Kerala, province la plus chrétienne de l’Inde. Z’homme est tout de suite partant (?), tout comme notre fille. L’aîné viendrait bien s’il y avait du wi-fi à l’église. Et le petit baye tellement aux corneilles que pour lui, la messe est dite.
Sur les conseils de notre hôte, nous arrivons bien en avance à la Santa Cruz Basilica pour avoir une place assise. Ce qui nous laisse le temps de nous mettre dans l’ambiance de Noël : guirlandes lumineuses façon kermesse, faux sapin qui clignote pour de vrai, méga crèche cachée derrière un rideau improvisé. Une déco hétéroclite et poussive à nos yeux d’occidentaux. Mais le spectacle est ailleurs. Dans la foule qui s’est massée sur les bancs et dans les ailes, au fond de l’église et sur ses marches, sur le parvis, debout ou assise sur des chaises en plastique posées en rangs d’oignons, non loin des haut-parleurs qui retransmettent la messe. Difficile de dire combien de fidèles sont venus assister à l’office mais la basilique grouille de monde dedans comme dehors, tous âges confondus.
Peu avant minuit, la messe commence. Toute l’assistance se lève. Après quelques mots d’introduction, l’évêque se dirige vers la crèche. Et là, tandis qu’il ouvre le rideau d’un geste dramatique pour annoncer la naissance du Christ, une bande-son réglée au max crache des coups de tonnerre. Ouah. Les oreilles sifflent et les bébés pleurent.
Ma fille me regarde, incrédule et murmure :
« C’est quoi ce truc ? »
Je lui lance un regard courroucé. Heureusement, nous pouvons nous rasseoir et nous reprendre. Commence alors le prêche, prononcé alternativement en anglais et en latin. L’évêque s’exprime d’une voix monocorde et laisse parfois la place à des invités, tout aussi lénifiants. Une chorale famélique entonne des chants que je ne reconnais pas. Z’homme commence à se demander ce qu’il est venu faire dans cette galère. Notre fille dodeline dangereusement de la tête. La chaleur monte, la torpeur aussi.
Nous nous relevons puis nous rasseyons plusieurs fois, à la manière des chansons d’alcooliques. La foule murmure des amen et autres litanies, surtout les sœurs en blanc assises devant nous. Quand même, entendre le « notre père » récité par des indiennes en sari coloré, le bindi rouge carmin au milieu du front, ça vaut son pesant de cacahuètes. Insensible à la dévotion ambiante z’Homme jette furtivement des coups d’œil sur l’heure et met de plus en plus de temps à se relever quand la bienséance l’exige. La cadette dort bouche ouverte sur mon épaule. Écrasés par la chaleur étouffante, craignant de nous endormir en sursaut, nous jetons l’éponge avant la fin de l’office. Entre deux oraisons, nous nous glissons furtivement entre les fidèles, tout en essayant d’écraser le moins de pieds possibles.
Avant de regagner notre guest house en tuk tuk, nous jetons un dernier coup d’œil sur la foule, qui, dedans comme dehors, écoute avec piété le monologue de l’évêque. Je les envierais presque.
Mais comme dirait mon père : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme.
1. Où l’on constate que les messes de minuit se déroulant dorénavant à 19 ou 20 heures dans le berceau de la chrétienté, il faut maintenant aller chez les Zoulous (ou les Indiens, c’est tout comme) pour trouver des messes de minuit qui commencent à l’heure.
2. Plus culturationné que l’auteur de ce blog, ci pa possib. BAYER aux corneilles, faut oser l’écrire. Et ça pose son auteur. Mais peut-etre le petit baillait-il également ?
3. Z’homme a décidément bien du mérite à te suivre dans ces lieux de perdition. Faut le garder, celui-là.
merci de me reprendre – c’était tout de même, vu l’heure, plutôt bailler tout court que bayer aux corneilles, même si j’aime bien cette expression.