Tu rêves de rencontrer des profs ? Tu veux en rencontrer un maximum en un minimum de temps ? T’as une soirée entière devant toi ? Le speed-dating parents-professeurs est fait pour toi. Oseras-tu relever le défi ?

7 minutes, et pas une de plus, c’est le temps que t’as pour causer de ton greffon et de ses nécessaires faiblesses avec chaque prof concerné. Parce que tu vas pas voir les profs des matières où tout va bien, nan. Ceux à qui tu demandes un rendez-vous représentent les matières faibles, celles où les notes ont dévissé pire que le CAC 40 en plein krach boursier. Tu reçois une petite grille horaire format A5 avec les noms des profs, les horaires de passage et les salles et tu te dis que c’est la grande classe. Un conseil : comme chaque seconde compte, munis-toi d’une montre à affichage digital, c’est plus rapide que de consulter l’heure sur un portable. Tu me diras merci plus tard.

Horaires indicatifs, comme à la SNCF

Alors d’abord, sans vouloir faire éclater ta petite bulle de bonheur, sache que les horaires précis qu’on t’a donnés – 16h52 ou 19h08, par exemple – ne sont pas faits pour être tenus. Ils sont « indicatifs », un peu comme à la SNCF. Le corps professoral a voulu donner un signal fort, montrer qu’ils vivent avec leur temps, et sur le papier, ça le fait. Mais c’est sans compter les brebis galeuses. Certains profs accumulent tellement de retard, que tu sors de chez l’un au moment ou tu aurais dû finir chez un autre, que tu zappes par la force des choses en espérant rattraper le coup un peu plus tard. Bref, c’est la perturbation générale dû à un sale effet domino. Et comme les parents, affolés, courent dans tous les sens, ça met un peu de piment à la situation. On est loin, très loin, de l’ambiance feutrée d’un bistrot propice aux rencontres.

À cela s’ajoute que, mathématiquement et physiologiquement, ces horaires sont impossibles à tenir. Oui parce que j’ai oublié de préciser que sont compris dans les 7 minutes imparties pour chaque rencontre : 1) le temps de transit entre les différentes salles, les différents étages et parfois les différents bâtiments, 2) le temps qu’il te faut pour serrer la main du prof en jonglant entre ta veste, ton calepin et la part de gâteau que t’as achetée aux secondes pour financer leur voyage scolaire 3) et enfin le temps de poser ton derrière sur une chaise encore toute chaude. Si tu dois faire pipi entre deux rendez-vous, explique à ta vessie que c’est juste pas possible. Si t’as pas le sens de l’orientation, abandonne carrément. Franchement, le planning est trop serré pour ce genre de futilités.

Au bon endroit à peu près au bon moment

Une fois que t’es au bon endroit à peu près au bon moment, encore faut-il repérer de suite le bon prof parce que, comme ils sont deux dans la même salle, pas facile de savoir avec qui t’as rendez-vous si tu connais pas sa tête. Moi j’dis ça, c’est pour les parents qui auraient loupé la réunion de rentrée. Ou ceux qui ne sont pas, mais absolument pas, physionomistes. Il est donc tout à fait possible que tu perdes quelques précieuses secondes à identifier le bon prof, voire à te tromper et à retourner dans la file d’attente.

Dans ce chaos organisé, la communication entre parents tient du grand art. Chacun consulte son planning d’un air fébrile, et si possible important. Et on se fait des petits checks : à quelle heure vous aviez rendez-vous ? Un parent : Ah moi j’avais rendez-vous a 17h21. Ah oui, mais moi a 17h14… du coup, c’est moi d’abord. Le parent que je viens de coiffer au poteau me lance un regard noir. Normal, c’est un nouveau parent, il a pas encore pigé les règles du jeu. Je me retiens de faire un fist pump, c’est pas terrible pour la cohésion de groupe, mais je lui fais un sourire que j’espère sincère en apparence.

Bonnet d’âne

Quand j’arrive enfin devant le prof de français de Louloute, tout s’explique. Dans la catégorie « taisez-vous que je m’écoute parler », il part largement favori. En dépit de son haleine d’hyène en putréfaction, ce clone de Deschiens retient les parents bien au-delà des 7 minutes règlementaires. Son gilet trop serré sur une chemise à carreaux rouges boutonnée jusqu’au col doit exercer sur la foule une sorte de fascination, là où Cristina Córdula ferait sans doute une rupture d’anévrisme. J’essaie de plaider le cas de Louloute pour la mauvaise note dans son bulletin. « C’est un accident », lui dis-je. « Eh ben, elle est drôlement accidentée ces temps-ci votre fille ! » Comme je le sens prêt à repartir pour un nouvel accès de diarrhée verbale, je me lève en hâte en marmonnant, sans conviction, « à la prochaine » et en lui décernant secrètement un bonnet d’âne.

Même le prof de maths tétra mutique n’arrive pas à compenser les excès de son loquace collègue. Il est vrai que dans la catégorie « taisez-vous que je m’écoute penser », il sait expédier les parents en trois minutes chrono avec deux formules au choix : N°1) bonjour, tout va bien, au revoir, N° 2) bonjour, comprend rien mais se donne du mal, au revoir. On le sent pressé de retourner à ses équations à plusieurs inconnues, parce que clairement, les parents, c’est pas son truc. Les élèves non plus d’ailleurs. Déçue, j’aimerais en savoir plus sur Louloute mais il me dit qu’on a déjà touché le fond alors faut arrêter de creuser. Il regarde sa montre d’un air ennuyé, me signifiant ainsi de ne pas être LA mère pénible qui va mettre en danger l’équilibre précaire de son carnet de rendez-vous. Je balbutie la possibilité de le revoir un autre jour. « Envoyez-moi un mail sur ENTEA », qu’il me répond. Je révise mon jugement : pas mutique, autiste celui-là. Et avec ça, tu t’étonnes que ma fille joue le remake du Titanic en maths.

La prochaine sur la liste est la prof d’histoire-géo mais à voir la file qui serpente dans tout le couloir et la délicate odeur de gaz moutarde qui va avec, j’ai comme un gros moment de découragement. Allez, encore deux ans et ce sera plus qu’un mauvais souvenir. Ah non, j’oubliais, dans deux ans Pioupiou rentre au collège. Je vais peut-être me prendre une année sabbatique, ou quatre.

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