Z’homme est un poète. Il a organisé mes 50 ans dans cette région d’Italie qui s’appelle les Cinque Terre. 5 terres : une pour chaque dizaine. Et comme il voulait courir là où les gens normaux marchent à pas circonspects, il a rameuté 12 potes pour que je ne sois pas seule. Z’homme est attentionné aussi.

Une bande de 12 copains, si j’étais Jésus, ça s’appellerait des a-pôtes. Mais jé suis nase arrête : impossible d’incarner le fils de Dieu quand on a une paire de miches. Aimer la multiplication des pains, ça suffit pas. Et même si Dame Nature m’avait dotée de la Sainte Trinité phallique, celle-là même qui te fait peindre la chambre de bébé en bleu, encore eût-il fallu que j’y crusse (en admettant que j’eusse envie de continuer à employer des conjugaisons qui donnent mal à la tête). Un peu comme quand tu rentres le ventre sur la balance pour peser moins lourd. Alors qu’en fait je suis flexicroyante, ce qui est mieux que rigidosceptique mais insuffisant pour marcher sur l’eau. Ça permet tout juste d’adopter le look sobre du chercheur de vérité, sandales et cheveux longs, mais barbe à ras, cela va de soi.

Certes, Judas est parmi eux. Mais cette bande est plus proche des 12 salopards que des évangélisateurs. Les lâcher en terre italienne, c’est prendre le risque de ne pas y aller piano et de ne pas finir sano. Du genre, ils te scotchent le portable au poignet comme si t’étais une sale addict, pfff, calomnie. Ou bien ils te déguisent en soubrette à plumeau et tu dois ramasser les miettes tous les matins sous prétexte que tu es allergique au duo pelle-balayette. À croire. Ou alors ils te font un blind test façon Koh-Lanta avec dégustation de vrais insectes séchés. Et ça se dit tes amis. Du grand n’importe quoi.

En plus, il fallait se lever tôt pour arriver à Levanto, point de départ de la rando, et il fallait aimer monter pour Monter-rosso. Le lendemain, je me suis méchamment pété le genou en trébuchant sur les marches à flanc de colline, ça m’apprendra à composer un slam en marchant. Ça m’a coupé l’envie de chercher des rimes pour les trois villages en « a », Vernazza, Corniglia et Manarola, mais si t’as des idées, te prives pas. Le surlendemain on a mis les voiles vers la 5ème terre, Riomaggiore. En fait on a pris un bateau à moteur, mais seulement parce qu’il était éco-compatible. Mets-toi un peu à la place des générations futures ; ça te ferait pas plaisir d’apprendre qu’on t’a laissé un petit bout de réserve naturelle bien propre, classée par l’Unesco ?

Comme l’avenir de la planète a le chic de plomber l’ambiance, on s’est baignés dans la mer en taisant sa possible pollution et du coup on a fait pipi dedans sans trop de scrupules. Des nuées de cormorans tournoyaient affamés autour des corps mourants, ou qui en avaient fortement l’air, blancs et étalés comme ils l’étaient sur des transats loués à la journée. On comprend la méprise des palmipèdes marins et si on a vu Hitchcock on est en droit de flipper. Tu sens qu’il faut rester vigilant si tu ne veux pas finir en bas de la chaîne alimentaire. Mais ceux qui vont mourir te saluent et dorment comme des bienheureux, la panse proéminente et la bouche ouverte.

Le dernier jour, la bande s’est scindée. D’un côté les parents zélés (groupe I), désireux de repartir demain dès l’aube à l’heure où blanchit la campagne pour retrouver leur progéniture. De l’autre les parents indignes (groupe II), déterminés à repartir tard, à vrai dire le plus tard possible, pour passer une journée de plus sans leurs greffons, tellement heureux qu’on ne pouvait décemment pas leur en vouloir.

Le groupe II – dont je faisais partie, était-ce nécessaire de le préciser – a pris la direction de Porto Fino, petite bourgade tranquille de 500 habitants. En réalité, et contrairement à ce que son nom pourrait laisser supposer, le Saint-Tropez de la riviera italienne n’a rien d’un porto 30 ans d’âge, si ce n’est sa rareté qui justifie sans doute les prix vertigineux. Blanches colombes que nous sommes, le doute a germé dans nos esprits quand les carabinieri nous ont refoulé à quatre kilomètres de l’objectif, nous suggérant d’y aller a piedi. De toutes façons, le temps était idéal pour fouler le tapis qui balise le sentier le long de la mer, oui, un vrai tapis rouge comme sur la Croisette par temps de festival. Notre inquiétude est montée d’un cran en constatant que la baie ressemblait de plus en plus à un parking pour yachts*****. Les vitrines Dior et Longchamp sans étiquettes de prix ont achevé de nous ouvrir les yeux. Dans un village où le tiramisu le moins cher est à 22 euros, on s’est contentés d’une glace qu’on a pu payer avec la carte, ouf. Dans cette cage dorée pour pigeons fortunés, même l’accès à la plage est lourdement taxé. Nous avions le choix entre des rochers hostiles mais gratuits ou le retour à la case départ.

Mais crois-le ou non, rien n’a pu entamer ma bonne humeur, même pas les bouchons du Saint-Gotthard quelques heures plus tard. Comme quoi, voir Cinque Terre et mourir … de rire c’est compatible et même inévitable. Sì signore.

PS :
La bande de frappadingue et mon doux z’homme m’ont aussi réservé des trésors de tendresse, que je divulguerai un jour peut-être mais pas tout de suite, sous peine de porter un coup fatal à mon image de blogueuse de mauvaise foi.

3 commentaires sur “Cinquantenaire en Cinque Terre”

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